« Les anges ne font pas de roman »

Henri Quantin
8,00 € l'unité
2015 - Fascicule n°2 2015 - Tome CXV
235 - 253
Article
Jacques Maritain, anges, roman catholique

Sous titre

L'apport de Maritain à la réflexion sur le romancier catholique

Résumé

Maritain a découvert le catholicisme dans un roman, La Femme pauvre de Léon Bloy. Il a cherché à démontrer, contre Gide et en réponse aux questionnements littéraires et spirituels de Mauriac, que le démon ne collaborait pas nécessairement à toute œuvre d’art, car « le sang rédempteur, qui d’un homme peut faire un ami de Dieu, peut bien, s’il les touche, exorciser l’art et le roman ». Il revient au romancier d’aimer ses personnages d’un amour sacerdotal.

Extrait

« Autrefois, il y a bien longtemps, quand il y avait encore des évêques et des chrétiens, on sait que les jeunes gens fortement élevés, garçons ou filles, pouvaient lire ou regarder impunément de belles œuvres, même s’il s’y rencontrait de ces détails qui font grelotter aujourd’hui nos calotins.»
Tels sont les mots de Léon Bloy, le parrain des Maritain, dans Le Vieux de la montagne, en 1910. Bloy commente un livre fameux de l’abbé Louis Bethléem : Romans à lire et romans à proscrire. Bethléem a voulu y classer selon la morale tous les romans situés entre L’Assommoir et L’Auberge de l’ange gardien. « Sereinement, écrit Bloy, l’abbé Bethléem s’est assis sur les quarante mille volumes du roman contemporain et, d’un geste grandiose, a opéré la division du Dante : Enfer, Purgatoire et Paradis. »  Et avant de s’attacher aux cas particuliers, aux romans commentés, Bloy résume les deux principes de base de la critique selon Bethléem : écarter l’art, le balayer au loin comme une ordure ; ne pas oublier un seul instant que « l’amour est le pléonasme de la luxure », que « les deux mots sont rigoureusement identiques ». La conclusion de Bloy s’impose : « Aussitôt planté sur ces deux bases de granit, le juge est dans la région de la lumière. Il voit clair, il discerne, avec une simplicité de vision qui pourrait être crue le privilège des anges, qu’un mauvais roman est celui qui parle d’amour et qu’un bon roman est celui qui ne parle pas d’amour, à condition toutefois qu’il soit écrit avec élégance par des tardigrades ou par des chameaux. Telle est, en aussi peu de mots que possible, la situation actuelle de l’abbé Bethléem, dispensateur canoniquement autorisé du pain littéraire aux catholiques affamés de littérature