Saint Thomas a été un maître de l’université de Paris, parfaitement intégré à celle-ci et se conformant à ses pratiques d’enseignement et ses contraintes statutaires. Mais il restait aussi un membre de son Ordre, docteur et prêcheur, plaçant au-dessus de tout l’obéissance à la règle et la fidélité à l’esprit de saint Dominique. Par-delà ces déterminations générales, c’était de toute façon une figure exceptionnelle par son autorité intellectuelle et morale, l’ampleur de son œuvre, la nouveauté de sa doctrine, la vigueur de ses prises de position parfois critiquées.
Le titre de la présente contribution a été imposé par la logique même du colloque au sein duquel elle prenait place. Ce titre peut paraître simple, il soulève en fait un certain nombre de questions qui commanderont au moins pour une part les réflexions qui vont suivre.Tout d’abord, que peut-on entendre par « le statut intellectuel de saint Thomas » ? Le mot même de statut semble renvoyer à une notion institutionnelle, sinon juridique. On peut parler de « statut professionnel, » ce qui, en l’occurrence, renverrait aux statuts d’étudiant puis d’enseignant — bachelier, licencié, maître ou docteur — revêtus par saint Thomas au fil d’un cursus d’études défini lui-même par des « statuts », ceux de l’université et ceux de son Ordre. Mais on pourrait aussi parler du « statut religieux » de saint Thomas — celui de membre de l’ordre des Prêcheurs — et de son « statut social » — celui de rejeton d’une famille de la grande noblesse d’Italie du Sud — que son entrée en religion n’avait pas totalement occulté. La notion de « statut intellectuel » peut recouvrir ces diverses acceptions, mais elle a aussi, me semble-t-il, une dimension moins juridique, plus concrète, qui la rapproche plutôt de celle de fonction ou même de situation occupée, de manière éventuellement temporaire. Et cette notion de situation renvoie évidemment à une pratique vécue : quelle idée saint Thomas se faisait-il lui-même de son j« statut intellectuel » ? Quelle image, quelle représentation, les contemporains, en particulier les universitaires d’un côté, les dominicains de l’autre, se faisaient-ils de saint Thomas en tant que maître et en tant que prêcheur ? On voit que des critères de définition multiples et croisés sont à mettre en œuvre.