À partir des années 1650, la querelle catholique de la grâce voit l’affrontement de trois partis théologiques, celui des jésuites, acquis au molinisme, celui des dominicains, défenseurs du thomisme, et celui des jansénistes, partisans d’un retour au strict augustinisme mais soucieux également de se défendre des accusations d’hérésie en mettant en avant leur conformité au thomisme. Le présent article tente de suivre l’évolution philothomiste d’Antoine Arnauld (1612-1694) en exil après la rupture de la Paix de l’Église. À l’évidence, le docteur janséniste ne pardonne pas aux dominicains leur supposée passivité à l’égard des molinistes ; il finit même par se prétendre plus pur thomiste que les disciples attitrés de saint Thomas.
Dans l'histoire du jansénisme, peu d’évolutions doctrinales plus significatives et plus difficultueusement négociées que celle au prix de laquelle les prétendus disciples de saint Augustin ont essayé d’accréditer l’idée, moins saugrenue qu’il ne semblait de prime abord, selon laquelle ils avaient orthodoxement réduit leur doctrine de gratia aux thèses caractéristiques de l’École de saint Thomas. Sans nul doute la plus cruciale mais aussi la plus douloureuse des controverses théologiques à avoir anxieusement sollicité l’inquiète attention du magistère romain au seuil de l’âge classique, la moderne querelle de la grâce a commencé par un impitoyable affrontement entre l’ordre de saint Dominique et la Compagnie de Jésus.