L’étude thomasienne de la vision divine des bienheureux per essentiam est complétée ici par l’étude de la marque personnelle du Verbe dans cet acte de connaissance qui rend raison de la portée ultime de notre contemplation des personnes de la sainte Trinité. Le rôle du Verbe dans la connaissance des personnes divines est étudié au niveau intratrinitaire et dans sa participation au triple plan de la nature, de la grâce et de la gloire.
Le thème de la vision de Dieu était au centre du débat dans les universités du XIIIe siècle. Rien d’étrange vu que déjà dans l’Écriture Sainte il y a des versets qui semblent contradictoires. Certains passages parlent de l’impossibilité de voir Dieu : « Personne n’a jamais vu Dieu » (Jn 1, 18), mais il y a d’autres passages qui affirment clairement cette espérance : « Ce que nous serons n’a pas encore été révélé ; quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, car nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3, 2). Ces différentes indications se sont cristallisées, selon les contextes, en deux traditions distinctes. En Occident, sous l’autorité de saint Augustin, s’affirme clairement la vision de Dieu comme prolongement de notre connaissance de viator. Si elle est déclarée invisible, c’est en tout cas pour nous rappeler que Dieu n’est pas un corps. En Orient, les Pères grecs insistent davantage sur l’invisibilité et l’ineffabilité de Dieu. Scot Érigène est parfois le premier qui cherche à rapprocher les deux traditions ; selon lui Dieu ne sera pas vu par le bienheureux dans son essence mais dans ses manifestations ou théophanies. Cette solution est bientôt contestée par certains théologiens comme Hugues de Saint-Victor. En effet, certaines opinions théologiques allant en ce sens ont incité l’archevêque de Paris à publier des condamnations décisives en 1241.