La pauvreté religieuse chez Thomas d’Aquin : Valeur, modalités et limites

Marie de l'Assomption, o.p.
5,00 € l'unité
2017 - Fascicule n°4
2017
601 - 626
Article
Pauvreté religieuse, Vie religieuse

Sous titre

Valeur, modalités et limites

Résumé

La  valeur de la pauvreté  religieuse tient à son statut de conseil évangélique comme moyen de perfection, en tant qu’elle est source de liberté vis-à-vis des biens matériels, dont la possession est en soi légitime. Son origine et sa finalité sont dans la personne du Christ qu’il s’agit d’imiter par amour. Si elle doit être sanctionnée par un vœu, elle revêt diverses modalités en fonction de la fin poursuivie par chaque ordre, et peut aller jusqu’à l’absence de possessions communes, ce qui justifie la mendicité. En aucun cas, cependant, elle ne constitue un absolu, la perfection ne pouvant consister que dans la charité.

Extrait

Saint Thomas a abordé à de multiples reprises la question de la pauvreté religieuse. Dès Pâques 1256, alors qu’il vient de recevoir la licentia docendi, le premier Quodlibet qu’il soutient contient une question consacrée au travail manuel des religieux, question connexe à celle de la pauvreté religieuse. Par la suite, elle occupe une place centrale dans les trois ouvrages où il a traité explicitement de la vie religieuse : Contre les ennemis du culte de Dieu et de l’état religieux, à l’automne 1256 ; La perfection de la vie spirituelle en décembre 1270 ; et Contre l’enseignement de ceux qui détournent de l’état religieux, au début de 1271. Cinq chapitres lui sont consacrés dans le livre III de la Somme contre les Gentils ; et dans la Secunda Secundae de la Somme de théologie, les cinq questions sur l’état de perfection lui font une large place. Pour Thomas, il ne s’agit pas d’une question purement théorique, qu’en bon théologien il devrait aborder au milieu d’autres, mais d’un sujet  existentiellement brûlant  à un triple titre. D’abord personnellement : issu d’une noble famille pouvant raisonnablement rêver pour lui.de l’accès à de hauts bénéfices ecclésiastiques, il fut confié encore enfant, par ses parents, à l’illustre abbaye du Mont-Cassin, avec l’idée qu’il en devienne un jour moine puis abbé. Sa décision d’entrer chez les frères prêcheurs, c’est-à-dire dans l’un de ces nouveaux  ordres  mendiants, alors peu considérés pour cette raison, n’avait pas été goûtée des siens, et avait entraîné une forte opposition pendant plus d’un an, jusqu’à ce que la détermination inflexible du jeune Thomas ne les oblige à céder, et à le laisser suivre la vocation de son choix C’est donc de haute lutte qu’il avait acquis le droit de vivre la pauvreté mendiante des dominicains. Communautairement ensuite, avec l’ensemble des religieux mendiants, dominicains et franciscains confondus, qui devaient faire face aux attaques en règle des séculiers leur contestant le droit d’enseigner à  l’université  de  Paris. La querelle entre les  séculiers  et  les  réguliers, commencée dès l’arrivée de ceux-ci dans les années 1220, prend une tournure dramatique à partir de 1254. Or la question de la pauvreté mendiante est au cœur des attaques de Guillaume de Saint-Amour, l’un des principaux maîtres parisiens engagés dans ce conflit, qui en contestait la légitimité. Comme dominicain enfin, dans le débat qui oppose son ordre aux franciscains, les deux ordres mendiants se séparant sur la place accordée à la pauvreté dans la perfection.