L’institution de la nature dans le commentaire des Sentences de Thomas d’Aquin

Ghislain-Marie Grange o.p.
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2022 - Fascicule n°1
122
CXXII
1
2022
9 - 28
Article

Résumé

Dans le commentaire des Sentences, saint Thomas d’Aquin décrit la création purement corporelle à l’aide d’une expression d’origine augustinienne : l’« institution de la nature ». En replaçant l’utilisation de cette expression dans le contexte théologique du XIIIe siècle à partir d’une étude de la Somme halésienne et du commentaire des Sentences d’Albert le Grand, on observe qu’elle met au centre de l’exégèse du premier chapitre de la Genèse la notion d’ordre de nature, qui est ici explicitée. Cette notion permet de mettre en lumière la sagesse du Créateur ainsi que de relier la création au gouvernement divin par une lecture théologique du septième jour. Thomas s’inscrit ainsi dans une tradition de pensée d’origine augustinienne, non sans lui apporter de profondes modifications.

Extrait

La manière dont saint Thomas d’Aquin rend compte de la procession des réalités a Deo est bien connue dans ses grandes lignes. Dans tous ses ouvrages de synthèse, une partie est consacrée au thème de la création et Thomas s’y appuie manifestement sur la métaphysique d’Aristote pour remonter au principe des êtres. Mais Thomas s’appuie-t-il également sur la Physique d’Aristote ?
À première vue, une telle utilisation semble difficile. Certaines affirmations d’Aristote, visant sans doute le démiurge du Timée de Platon, interdisent de chercher la genèse des êtres pour se concentrer sur l’étude de ce qu’elles sont. Par ailleurs, l’étude du mouvement incline Aristote à penser que le monde est éternel et qu’il ne peut pas avoir été engendré. Cette preuve de l’impossibilité d’un commencement du monde par le mouvement conduit Thomas à insister sur la différence entre la création et le changement.
Il est cependant clair que Thomas relie la nature, qui est l’une des notions centrales de la Physique d’Aristote, à son auteur. En témoigne un adage commun à son époque : « L’œuvre de la nature est une œuvre d’intelligence (opus naturae est opus intelligentiae). » La première occurrence de cet adage semble attestée chez Albert le Grand et Thomas d’Aquin le reprend souvent. Comment saint Thomas d’Aquin reconduit-il l’œuvre de la nature à son auteur ? En parcourant les textes du commentaire des Sentences consacrés à la créature corporelle, on remarque que Thomas emploie un terme d’origine augustinienne qui semble s’appliquer de manière spécifique à la nature : celui d’institution. Au début de l’étude de la créature corporelle qui suit le schéma des six jours de la création, saint Thomas d’Aquin affirme : « Dans cette partie, [le maître des Sentences] détermine la nature purement corporelle, en tant qu’elle relève de la considération du théologien, c’est-à-dire en tant qu’elle a été instituée par Dieu primitivement dans les œuvres des six jours. »