La notion spécifiquement thomiste d’actus essendi implique, au prix d’un néologisme assez barbare, l’application de la notion d’acte à ce que désigne le verbe esse dont la traduction littérale est être. C’est Thomas d’Aquin qui s’est employé le premier à établir la thèse que le fait d’être doit être considéré comme un acte, et même le premier de tous les actes, ce qui peut nous paraître paradoxal, dans la mesure où le verbe être est pour nous le principal des verbes dits d’état, que nous opposons par là aux verbes dits d’action.
La thèse thomiste n’est intelligible que si l’on ne confond pas les concepts d’acte et d’action. Le premier s’entend en effet, non pas comme l’exercice d’une causalité efficiente, mais plutôt comme l’effectivité, par opposition à la potentialité ou puissance (en grec, dunamis ; en latin, potentia) — l’allemand distingue de la même façon ce qui est wirklich de ce qui est möglich. Cette distinction a été établie pour la première fois par la métaphysique aristotélicienne, à partir d’analogies tirées de l’expérience. C’est ainsi que le marbre est statue en puissance, et ne le devient en acte que par l’efficience motrice du sculpteur. Et l’art de celui- ci est lui-même à l’état potentiel quand il ne sculpte pas, quoique, à la différence d’un autre, il ait le pouvoir de le faire. Aristote parle en ce deuxième cas de puissance active — pouvoir de passer à l’acte et de faire exister en acte, de rendre effectif ce qui n’était que possible —, par opposition à la puissance passive de ce qui est transformé par cette activité.