Peu étudiée pour elle-même, souvent confondue avec d’autres propositions qui sont ses contemporaines, la doctrine de saint Thomas d’Aquin sur l’usure mérite pourtant d’être comprise. Comprise d’abord dans ce qu’elle affirme vraiment (l’usure est injuste de soi car elle vend ce qui n’existe pas) et comprise par rapport à ce qu’elle n’affirme pas. Comprise ensuite dans son actualité, car elle rend compte de l’épuisement du monde, du risque d’implosion du système financier et, pour partie, de l’érosion de l’amitié politique. Tout cela parce que l’usure fait de la consommation d’argent une activité rentable.
En notre époque de financiarisation universelle, l’enseignement de saint Thomas d’Aquin sur l’usure mérite d’être redécouvert. Nous aimerions apporter à ce sujet quelques éclaircissements, ne serait-ce que pour nourrir les discussions de manière informée. Thomas est éloigné de nous, nous sommes éloignés de Thomas. Son époque, homogène aux réflexions anciennes sur la chrématistique et le foenus, lui présentait l’usure comme un échange injuste, objet uniquement de tolérance de la part des lois positives pour éviter un plus grand mal. Notre époque, postérieure à la révolution capitaliste, nous présente l’usure comme un instrument bénéfique pour autant que l’on reste dans les bornes réglementaires qui proscrivent son mauvais usage. Il nous est ainsi très difficile d’envisager le prêt d’argent à intérêt en faisant abstraction du système financier dans lequel il s’insère. L’exploitation de l’état de nécessité des plus fragiles était un redoutable fléau dans la société médiévale. Ce souci est aujourd’hui relégué au second plan, occulté par les multiples avantages qu’en retirent les emprunteurs, comme l’accession à la propriété, l’extension de l’activité des entreprises, le lissage des variations de conjoncture, le refinancement des sociétés commerciales ou des États, etc.