Grâce et liberté créée : une relecture de saint Thomas (I)

Basile Valuet o.s.b.
5,00 € l'unité
2018 - Fascicule n°3 2018 - Tome CXVIII
1800
429 - 458
Article
Thomas d'Aquin, Liberté, Grâce

Résumé

Dieu est cause première de tout effet d’une cause créée, par la médiation de celle-ci. Celle-ci agit en subordination avec la causalité divine, non seulement parce que Dieu lui donne l’être, la conserve, et qu’elle agit en vertu de lui, mais aussi parce qu’il la fait passer à l’acte. Elle communique l’esse à son effet comme instrument de l’agir divin, mais elle contracte cet esse à une spécification particulière. Dieu cause de manière nécessaire le vouloir de la créature libre quant à son objet propre, le bien en soi, et quant à sa finalité ultime, le bonheur parfait. Sous la motion de cet acte de vouloir primordial de la fin, la liberté créée se fait passer à l’acte du choix d’un moyen, bien réel ou apparent. Dieu précise seulement parfois un objet déterminé à choisir par la volonté. Cette attirance par mode d’objet laisse la délibération humaine libre de nécessité quant à sa spécification. Dieu agit aussi par mode efficient sur la volonté créée, et il est seul à le pouvoir. Cela consiste à faire passer la volonté créée à l’exercice d’un acte, soit immédiatement à l’exercice d’un acte volontaire indélibéré, nécessaire, soit, de façon médiate, à l’exercice de l’acte de délibérer et d’élire, sans que la prémotion efficiente détermine la spécification de cette élection. Si c’est tel acte que pose la liberté, alors c’est tel acte que Dieu cause comme acte : les actes délibérés jouissent donc d’une nécessité de conséquence. Dans le péché, Dieu cause le passage à l’acte de choisir, et tout ce qu’il y a d’être et de bonté métaphysique dans l’acte, mais non sa privation de rectitude, qui est du non-être dû uniquement au défaut librement assumé par la volonté créée dans son agir.

Extrait

Une fois prise une vue d’ensemble du plan divin considéré en Dieu, il importe d’analyser l’exécution de celui-ci dans la créature. Pour cela, il faut se faire une idée des rapports entre action divine et action créée, d’abord en général, ensuite dans le domaine de la grâce.
A. — Action divine et action créée en général
On peut récapituler la doctrine du Docteur angélique sur les rapports généraux entre action divine et action créée dans un premier temps par rapport à toute créature (1), et dans un deuxième temps dans le cas spécial du libre arbitre créé, en étudiant la causalité finale (2), puis la causalité efficiente des actes bons (3), puis la cause des péchés (4).
1. La subordination des causes dans le gouvernement divin en général
Saint Thomas compare à une subordination de causes la coopération de la causalité divine à la causalité créée : d’abord, a) il l’énonce en général, notamment sous l’angle des trois principales lignes causales ; puis, b) il précise que Dieu rejoint l’effet des causes secondes par l’intermédiaire de celles-ci, dont il cause la causalité : c’est la question de l’immédiation de vertu et de la médiation de suppôt ; ensuite, c) selon lui, la cause première use de la cause seconde comme d’un instrument pour communiquer l’esse à l’effet de la cause seconde ; toutefois, d) la cause seconde détermine et particularise cet esse.