Cet article a pour objet de discuter les principales conceptions contemporaines de la substance et de leur proposer une alternative sérieuse. Une fois établi par des indices linguistiques et par la discussion de l’essentialisme excessif et de ses mauvaises conséquences épistémologiques que la substance est un endurant distinct d’autres modes d’être, il est montré quelles contraintes en découlent : indépendance et identité. Enfin est soutenu que seule la conception de la substance comme forme en acte permet de satisfaire ces deux exigences.
Une des raisons de l’éloignement de la question de la substance est sans doute l’influence de Kant. En réduisant la substance, soit à une chose en elle-même inaccessible, soit à une catégorie épistémologique, le philosophe allemand la vide complètement de son intérêt pour une philosophie de l’être. Heureusement le sud-est de la Mittel-Europa et la culture anglo-saxonne ont échappé à cette influence. Cela ne revient évidemment pas à dire que tout le monde y accepte la substance mais même les contestations dont elle fait l’objet de divers côtés donnent lieu à des discussions sérieuses et non à des affirmations qui relèvent finalement du seul argument d’autorité ou qui se cachent derrière l’herméneutique. Alors que dans certaines de ses branches la philosophie analytique était au début violemment antimétaphysique, positiviste, elle est devenue l’un des lieux où les discussions des grandes questions métaphysiques classiques sont les plus présentes et les plus fécondes.
La substance n’a pas toujours reçu dans le thomisme contemporain l’attention qu’elle mérite. Rappelons que dans la tradition aristotélicienne — et en grec tout simplement — ousia est le nom qui désigne ce qui est à titre premier ; c’est le nom de la réalité qui premièrement est. Aussi bien a-t-on tenté parfois, sans trop de succès mais légitimement, de traduire ousia par « étance ».