Si la doctrina sacra est, chez saint Thomas d’Aquin, l’unique science permettant à l’homme, par la foi, une connaissance salvifique de Dieu qui prépare et anticipe la vision béatifique, quelle place reste-t-il, en régimechrétien, pour la discipline philosophique en tant qu’elle prétend, elle aussi, conduire l’homme au bonheur par la contemplation des réalités divines ? Nous cherchons ici à étudier la place et le rôle des raisons naturelles au sein de la doctrine sacrée, en montrant d’abord quelle théorie l’Aquinate élabore de leur usage, puis en regardant comment ces principes sont mis en application, particulièrement dans la lecture biblique, fondement de la démarche théologique. L’analyse du commentaire de l’épître aux Galates permet de mettre en évidence un rôle certain de la philosophie dans l’acte exégétique lui-même où, d’une manière paradigmatique, elle se voit élevée sans perdre sa spécificité. L’image de l’eau changée en vin s’applique alors en particulier à l’exégèse thomasienne, lieu par excellence où la philosophie est proportionnée à sa finalité, l’unique béatitude.
Nous avons montré, dans le commentaire de l’épître aux Galates, que le recours aux rationes philosophorum avait toute sa place dans l’exégèse de saint Thomas. Non seulement il fait des références explicites aux autorités profanes, mais les arguments provenant de leurs doctrines, souvent enrichies par sa propre élaboration philosophique, sous-tendent un commentaire qui s’inspire jusque dans sa méthode des disciplines du siècle. Ces recours fréquents répondent, pour une part, aux rôles de la philosophie au sein de la sacra doctrina que l’Aquinate avait établis dans sa lecture de Boèce : ponctuellement, ils assument une fonction apologétique, développant un verset pour montrer en quoi il réfute une erreur ; plus souvent, ils expliquent un point théologique soulevé par le texte sacré, grâce à une similitude posée avec une réalité naturelle, généralement expliquée grâce à Aristote. La fonction des préambules de la foi semble aussi avoir une place, en tant que la philosophie aide le théologien dans l’exploration rationnelle du donné révélé, celui-ci étant, pour une part, accessible à la raison naturelle.