Thomisme, nature et science

Giuseppe Tanzella-Nitti
Giuseppe Tanzella-Nitti est membre de l'Observatoire du Vatican et professeur de théologie à l'Université pontificale Sainte-Croix (Rome). Ce texte est issu d'une communication au XIe Congrès Thomiste International (Rome, 2022) et traduit en français par la rédaction du site.

(See English version)

Lorsqu’on place l’œuvre de Thomas d’Aquin devant la pensée scientifique contemporaine, deux sentiments apparemment opposés naissent immédiatement. D’une part, Thomas attire encore aujourd’hui de nombreux scientifiques en raison de sa confiance envers la raison, de sa précision méthodologique et de l’exposition rigoureuse de ses arguments. D’autre part, le temps qui nous sépare des écrits de Thomas semble trop long, et sa vision de la nature trop éloignée de la nôtre, pour croire que son œuvre puisse encore éclairer notre connaissance du monde physique. Se demander si la pensée de Thomas d’Aquin est encore pertinente pour notre culture scientifique n’est donc pas une question anodine.

À l’époque de Thomas d’Aquin, le terme « science » (scientia) avait un sens très large : il désignait la connaissance dans son ensemble. Cela incluait ce qui provenait de l’observation de la nature ainsi que les connaissances provenant d’autres domaines du savoir. Le terme « scientifique » n’existait pas encore, ni une méthode de connaissance de la nature comparable à ce que nous appelons aujourd’hui « méthode scientifique ». De plus, à l’époque de l’Aquinate, la comparaison entre la science et la religion ne faisait l’objet d’aucune étude spécifique. La religion était une vertu relevant de la volonté, tandis que la connaissance de la nature, ainsi que la foi, relevaient de l’intelligence. En effet, la comparaison entre la foi et la raison était possible, puisqu’il s’agissait de deux sources intellectuelles de connaissance ; l’étude du rapport entre la science et la théologie était également possible, puisqu’elles étaient deux voies tracées par la raison, l’une venant de la lumière de la raison naturelle (lumen rationis naturalis), l’autre de la lumière de la foi (lumen fidei)[1].

Comment évaluer alors la pertinence de saint Thomas pour les sciences lorsque les sciences sont comprises dans le sens d’aujourd’hui ? Cette pertinence ne peut pas être mesurée en termes d’aperçus ou de conseils que la pensée de l’Aquinate pourrait fournir sur le plan d’une compréhension strictement scientifique de la réalité. Il est clair que sa contribution doit être recherchée sur d’autres bases[2]. Je pense que l’importance de l’Aquinate pour la science peut être évaluée suivant trois perspectives :

a) La première perspective concerne les prémisses de la recherche scientifique. Puisque toute activité scientifique est fondée sur des prémisses philosophiques et, dans une certaine mesure, théologiques (si celles-ci pointent vers la cause ultime de la rationalité et de l’existence de la réalité elle-même), il est logique de se demander si une philosophie (et une théologie) d’inspiration thomiste est capable de clarifier ces prémisses et leurs bases rationnelles, et si le thomisme y parvient mieux que d’autres visions philosophiques.

b) La deuxième perspective concerne les implications rationnelles des résultats de la science. Puisque les résultats scientifiques sont souvent utilisés pour tirer des conséquences philosophiques (et parfois même théologiques), il est logique de se demander si la pensée de l’Aquinate peut aider, aujourd’hui encore, à juger de la justesse de telles inférences, en démasquant les incohérences et les contradictions ou, positivement, en confirmant leur validité.

c) La troisième perspective concerne la compréhension de la réalité naturelle et le dialogue entre les différentes sources de connaissance. Pour pénétrer la réalité plus en profondeur et progresser vers une synthèse cognitive, les diverses sciences ont besoin d’un système philosophique spécifique ; il est donc logique de se demander si une philosophie inspirée de Thomas d’Aquin permet de mieux comprendre la réalité naturelle, en particulier lorsque les sciences s’orientent vers la recherche de causes unificatrices et globales.

Ne pouvant aborder le sujet dans toute son ampleur, je me concentrerai principalement sur les sciences naturelles, sans négliger, quand c’est nécessaire, les sciences de la vie et l’anthropologie.

Mon étude est organisée en trois parties. La première partie est une revue bibliographique des principales publications parues depuis les derniers congrès thomistes internationaux. Dans ce bref exposé, je ne pourrai mentionner que les thèmes abordés, et non les articles individuels. La deuxième partie examine la pertinence de Thomas d’Aquin dans le dialogue avec les sciences naturelles, en développant brièvement chacune des trois perspectives mentionnées plus haut, c’est-à-dire sa contribution à la clarification des prémisses philosophiques des sciences, au jugement de la justesse de leurs implications et à l’approfondissement de l’intelligibilité de leur analyse de la réalité. La troisième partie expose les nouvelles questions que les sciences posent aujourd’hui à la philosophie thomiste, en suggérant quelles synthèses entre les sciences, la philosophie et la théologie la pensée de Thomas d’Aquin pourrait encore inspirer.

 

I. La pensée thomiste et les sciences naturelles : un bref aperçu des études et des essais publiés au cours des dernières décennies

Si l’on considère le dialogue avec les sciences, le thème qui compte le plus grand nombre d’articles publiés au cours des vingt ou trente dernières années est sans aucun doute la doctrine thomiste sur la causalité, revisitée sous diverses perspectives, toujours en lien étroit avec sa racine aristotélicienne. Les travaux publiés au cours des dernières décennies attribuent à l’Aquinate trois mérites principaux : a) soutenir un naturalisme méthodologique qui n’implique aucun réductionnisme ontologique ; b) promouvoir la compréhension de l’autonomie des créatures, qui n’est ni apparente ni occasionnelle, mais réellement enracinée dans une causalité autogérée ; et c) transmettre une image véritablement transcendante du Dieu Créateur dans l’étude des relations entre Dieu et la nature.

Les principaux domaines d’application de la conception aristotélico-thomiste de la causalité sont essentiellement au nombre de trois. Premièrement, la relation entre la création et la cosmologie physique, où les auteurs étudient la relation entre la Cause première et les causes secondes, le problème de l’origine du temps, la question du fondement ontologique de la réalité et la présence possible d’une téléologie à l’échelle cosmique. Deuxièmement, la doctrine de la causalité est appliquée à l’étude de l’action divine sur la nature, ce qui inclut le thème des miracles, l’étude de la providence divine et la question exigeante du mal physique. Troisièmement, une doctrine thomiste de la causalité est utilisée pour aborder la relation entre la création et l’évolution, surtout dans le domaine biologique, mais parfois aussi dans le domaine cosmologique. Enfin, dans le vaste thème de la causalité, il y a place, à différents niveaux et avec différentes applications, pour une réflexion sur les lois de la nature, la relation entre le hasard et la finalité, et l’approche différente fournie par la téléologie de l’Aquinate par rapport aux partisans du dessein intelligent (intelligent design).

Immédiatement après ces études portant sur la doctrine de la causalité, le plus grand nombre d’ouvrages qui se réfèrent à la pensée de Thomas concernent le domaine de l’épistémologie. L’Aquinate est très apprécié pour sa capacité à mettre de l’ordre dans les différentes sciences, en expliquant leurs interrelations et en préservant leur autonomie. Les auteurs mettent la théorie de la connaissance de Thomas d’Aquin en dialogue avec les différentes approches de la philosophie contemporaine de la connaissance, souvent pour souligner le réalisme épistémologique et la recherche de la vérité comme les deux coordonnées essentielles de tout travail scientifique. Dans une perspective théologique, la réflexion de l’Aquinate sur l’unicité de la vérité et sa vision de la relation entre foi et raison sont mises au service d’une meilleure compréhension de l’acte de foi. Dans le domaine épistémologique également, nous trouvons la présence d’une inspiration thomiste chez les auteurs contemporains qui tentent de réévaluer l’unité de la connaissance et souhaitent souligner les prémisses philosophiques de la connaissance scientifique.

Un troisième sujet en plein essor est celui des neurosciences. Les publications qui s’appuient sur la pensée de Thomas d’Aquin semblent offrir deux développements à ce domaine d’étude. Le premier, qui est devenu courant, concerne la recherche de solutions pour décrire la relation entre l’âme et le corps lorsqu’elle est examinée dans le cadre du problème contemporain corps-esprit ; le second concerne la compréhension des sentiments, des affects et des émotions à la lumière d’une anthropologie d’inspiration thomiste, placée en dialogue avec les études contemporaines sur la phénoménologie du système neuronal et de l’activité cérébrale. La vision holistique de l’âme comme forme du corps fournie par l’approche aristotélico-thomiste, retrouve sa pertinence aujourd’hui, car elle est en phase avec la perspective scientifique de la cognition incarnée (embodiment). Cette approche interprète les opérations humaines de la volonté, des émotions et de la connaissance des sens comme profondément enracinées dans la corporéité, soulignant la dimension psychosomatique et holistique de l’action humaine, tout comme Thomas l’a fait en son temps.

La plupart de ces publications sont signées par des philosophes, et seulement une minorité d’entre elles par des théologiens. D’un seul coup d’œil, on peut dire que, ces dernières décennies, la pensée de l’Aquinate a inspiré des contributions spécifiques dans les domaines de l’épistémologie et de la métaphysique, de la philosophie de la nature et de l’anthropologie, mais aussi de l’apologétique et de la théologie fondamentale, incluant, dans certains cas, des applications à la théologie morale (théologie morale fondamentale et bioéthique) et à la théologie dogmatique (théologie de la création).

 

II. La contribution d’une philosophie d’inspiration thomiste à la pensée scientifique contemporaine et au dialogue interdisciplinaire

Il y a des raisons fondées d’affirmer qu’une inspiration thomiste est encore à l’œuvre aujourd’hui dans le dialogue entre la science, la philosophie et la théologie. J’essaierai de le montrer selon les trois perspectives mentionnées plus haut, à savoir le rôle du thomisme pour : a) éclairer les présupposés métaphysiques de l’activité scientifique ; b) évaluer correctement les implications philosophiques qu’on pourrait déduire de certains résultats des sciences ; et c) permettre une compréhension plus profonde de la réalité naturelle.

 

a) Les fondements philosophiques de l’activité scientifique

 

L’épistémologie de l’Aquinate s’enracine dans un solide réalisme cognitif[3]. Il insiste sur la primauté de la connaissance des sens, sans la confiner à la seule connaissance des particularités concrètes, mais en permettant à la connaissance de s’élever, par l’abstraction, jusqu’à la véritable compréhension des principes généraux. La connaissance naît des sens mais les dépasse. Une idée bien connue de Thomas est que la connaissance est une rencontre entre la rationalité présente dans les choses et celle qui est présente dans notre esprit, et non la simple projection de nos catégories mentales sur le monde matériel. Ce point de vue est en accord avec la pratique scientifique bien établie selon laquelle le travail expérimental est un dialogue entre le chercheur et la nature, un dialogue toujours ouvert aux corrections et aux améliorations dont la source ultime réside dans la réalité elle-même.

Suivant les traces d’Aristote, le mode de pensée de l’Aquinate permet à l’analyse scientifique de se comprendre véritablement comme une connaissance par les causes (scire per causas). La relation non instrumentale entre la Cause première et les causes secondes fonde l’authenticité d’une véritable causalité autonome des créatures, jetant ainsi les bases d’une capacité à « faire de la science »[4]. De ce point de vue, saint Thomas procède à une unification stratégique de la métaphysique de la participation de Platon et de la métaphysique de la substance d’Aristote. La première est plus attentive à la causalité exemplaire, la seconde est plus attentive à la causalité efficiente ; Thomas les unifie au moyen d’une métaphysique de l’acte d’être (actus essendi) et grâce au concept intensif de l’être. La synthèse thomiste présente toute créature comme une composition d’essence et d’acte d’être. En plaçant leur origine à tous deux dans la causalité divine transcendante, elle fournit les prémisses philosophiques de l’étude scientifique de toutes les entités matérielles : pour que la science puisse étudier ses objets, il est nécessaire que les choses soient, et qu’elles soient selon une essence spécifique (c’est-à-dire selon une nature spécifique). L’être et la nature de toutes les entités matérielles constituent donc un substrat ontologique qui est la prémisse philosophique de toute connaissance scientifique[5].

Le point de vue de l’Aquinate sur le cosmos en tant que « structure ordonnée », selon la double perspective de l’ordo rerum ad invicem (structure hiérarchiquement ordonnée des choses créées) et de l’ordo rerum ad Deum (providence divine), est également pertinent pour la science. Une telle vision représente le présupposé nécessaire de toute recherche scientifique en tant que « recherche de l’ordre »[6]. La fécondité de cette perspective est évidente lorsque la science aborde la nature selon des critères mathématiques ou lorsqu’elle met en lumière le comportement des entités matérielles selon leurs lois propres. Il est possible de montrer que cette perspective reste féconde même lorsque la science étudie des phénomènes soumis à l’indéterminisme computationnel ou qu’elle opère dans les cadres théoriques de la mécanique quantique et de la complexité[7].

C’est d’ailleurs la doctrine aristotélico-thomiste de l’analogie qui est d’un intérêt primordial dans le travail scientifique[8]. Elle permet de relier la nature empirique des entités (ens dans la mesure où elles sont mesurables) et les principes philosophico-métaphysiques qui permettent aux entités d’être telles (ens ut mobile et ens ut ens), montrant plus facilement le caractère raisonnable des fondements philosophiques de la science. La connaissance empirique d’une entité matérielle et la connaissance métaphysique qui explique l’existence et l’essence-nature de cette même entité sont deux modes de connaissance irréductibles ; néanmoins, nous pouvons les mettre en relation selon différents niveaux d’analogie et d’abstraction. L’analogie est donc utilisée par les sciences pour décrire au niveau logique ce que la réalité est au niveau ontologique : de cette manière, les lois de la nature qui sont valables pour un cas connu étudié peuvent être appliquées avec succès pour dériver des lois qui opèrent dans des cas moins connus.

La doctrine de l’analogie de l’être permet ainsi à la science d’éviter deux perspectives qui ont été maintes fois reconnues comme insuffisantes : la perspective existentialiste, qui attribue la vérité des choses à leur simple émergence du flux de l’existence ; et la perspective essentialiste, qui croit que les choses et les événements peuvent être pleinement compris en expliquant simplement leur essence sans aucune référence à la raison ultime de leur être. Les deux perspectives échouent. La première, parce que la science a besoin de généraliser au-delà d’événements uniques ; la seconde, parce qu’elle se heurte aux paradoxes de l’incomplétude logique et ontologique. L’essence des choses ne peut pas être dérivée de leur existence ; de même, l’existence des choses ne peut pas être justifiée par la connaissance exhaustive de leur essence.

 

b) Sur les implications philosophiques possibles des résultats scientifiques

 

Une compréhension profonde de la transcendance du Dieu Créateur et l’emploi d’une épistémologie correcte nous fournissent des outils intellectuels pour contrôler les implications réelles de certains résultats scientifiques sur la philosophie ou la théologie. Même aujourd’hui, la pensée thomiste peut être utilisée avec succès, à la fois pour ne pas attribuer à la science ce que la science ne peut pas dire et pour éviter la manipulation de la science par des idéologies ou des philosophies inexactes.
Dans le débat entre la foi chrétienne et les sciences naturelles, la plupart des problèmes sont dus à des conceptions erronées ou insatisfaisantes de la relation entre Dieu et la nature. En fondant la causalité divine sur la participation à l’acte d’être et sur l’attribution d’une essence-nature spécifique, saint Thomas propose une image de Dieu qui n’interfère pas avec la description scientifique ordinaire de la réalité empirique, ni avec la recherche des causes secondaires qui régissent ses phénomènes.

Comme l’ont souligné à plusieurs reprises différents auteurs, en privilégiant la compréhension de la création comme une relation, comme un acte continu qui transcende le temps, la pensée de l’Aquinate nous permet de clarifier, aujourd’hui encore, de nombreuses « questions limites » entre la cosmologie physique et la théologie de la création, en dépassant la fausse dialectique de ceux qui veulent établir si l’action d’un Créateur est quelque chose de nécessaire ou de superflu. La causalité par laquelle l’Acte pur d’être rend raison de l’existence du monde ne concerne aucun mouvement ou changement et dépasse donc le « problème du premier mouvement ». Comprendre la création du cosmos comme une relation entre la créature et Dieu devient particulièrement fructueux lorsqu’il s’agit de clarifier la différence entre une origine causale radicale et le début du temps[9]. En termes philosophiques, cela contribue à libérer les modèles cosmologiques qui prédisent une singularité gravitationnelle de l’espace-temps du fardeau de devoir confirmer une théologie de la création. De même, cela met en évidence l’erreur consistant à déduire qu’un Créateur ne serait plus nécessaire lorsqu’il s’agit de modèles qui ne prédisent pas une telle singularité. En outre, la vision thomiste de la causalité de Dieu dans la création, ainsi que la distinction entre l’essence et l’acte d’être, peuvent facilement montrer la nécessité d’un Créateur pour les modèles cosmologiques qui interprètent le début de l’univers physique comme l’apparition d’un objet quantique, ou qui placent son origine dans une pluralité de régions spatio-temporelles indépendantes les unes des autres. Dans les deux cas, il s’agit d’entités mesurables, dotées de natures, d’essences et de lois naturelles spécifiques, qui précèdent et régissent toute la phénoménologie empirique, et dont l’existence au niveau ontologique ne peut être déduite des mesures effectuées au niveau empirique.

C’est encore la doctrine de la causalité de l’Aquinate qui nous permet d’établir correctement les relations entre la création en théologie et l’évolution en cosmologie ou en biologie, en évitant les déductions fallacieuses qui tentent de nier le rôle d’un Créateur en tant que « donneur de formes » (dator formarum). Même si nous devions limiter les mécanismes évolutifs à un cadre néo-darwinien, le caractère aléatoire des mutations génétiques sur le plan des phénomènes n’implique pas l’absence de finalité sur le plan ontologique, où réside en définitive la relation entre le Créateur et les créatures. L’Aquinate admet volontiers l’action du hasard dans la nature, sans pour autant en déduire l’impuissance ou l’inexistence de Dieu[10]. D’une manière plus générale, le « gouvernement » du monde naturel est exercé par Dieu à travers la nature de chaque entité, qui a le caractère d’une causalité formelle. L’action d’une causalité formelle, même dans ce qui régit l’interaction avec d’autres entités, exprime la tendance vers une causalité finale. Ainsi, pour affirmer l’existence d’une téléologie dans la nature, il n’est pas nécessaire d’admettre une action extrinsèque de Dieu au niveau de la causalité efficiente, mais seulement de reconnaître que Dieu est la cause finale qui régit tout, parce que c’est Lui qui veut toute cause formelle, avec sa quidditas, Lui qui veut tout tel que c’est et pas autrement[11].

L’approche philosophico-théologique de saint Thomas réconcilie non seulement la relation entre la création et l’évolution, mais aussi le conflit apparent entre un univers d’entités et de formes et un univers d’événements et de processus. Dans une approche plus philosophique, il faut dire que la Cause Première, à laquelle appartient la « conception » (design) du monde, transcende l’ordre empirique, tandis qu’une approche théologique précise que cette transcendance se situe au niveau d’une intentionnalité personnelle. Une connaissance purement quantitative, propre au niveau empirique, ne peut avoir aucun accès à la raison ultime d’un projet personnel et intentionnel. Affirmer ou nier l’existence d’un Créateur n’est que l’objet d’une métaphysique (et le matérialisme est aussi une métaphysique), et non l’objet d’une science naturelle, comme le sont la physique ou la biologie.

Sur le thème du miracle, traditionnellement associé au rapport entre foi et raison, saint Thomas affirme que les miracles ont Dieu pour auteur et qu’ils relèvent de causes qui nous restent inconnues sur le plan empirique : il n’appartient donc pas, à proprement parler, à la science d’affirmer ou de nier ce qu’est un miracle. L’Aquinate apporte deux précisions importantes qui sont encore utiles aujourd’hui dans le dialogue entre la théologie et les sciences. Premièrement, le miracle possède toujours une dimension ontologique et ne peut être réduit à ses dimensions anthropologiques ou sémiologiques : les miracles sont des œuvres qui ne peuvent être réalisées que par le Créateur du monde naturel, Celui dont la nature elle-même dépend dans son ensemble. Deuxièmement, saint Thomas précise que le miracle opère en dehors de l’ordre de la nature, et non contre la nature, protégeant ainsi la théologie des implications fallacieuses de ceux qui, partant de l’ordre empirique, veulent montrer le caractère conflictuel ou même irrationnel de tous les événements miraculeux. Le miracle n’est pas une « correction » de la création, mais une manifestation de la puissance créatrice de Dieu, presque une perpétuation de celle-ci dans l’histoire.

Si nous nous tournons vers les neurosciences, le fait que les principales fonctions traditionnellement associées à la vie « spirituelle » de l’être humain - telles que la mémoire, les émotions, l’imagination, les sentiments, etc. - soient placées dans des zones spécifiques du cerveau, a conduit de nombreuses personnes à remettre en question l’existence d’un principe non matériel qui pourrait jouer le rôle habituellement attribué à l’âme humaine. Là encore, la perspective thomiste peut nous aider à clarifier les choses. Saint Thomas n’a aucune difficulté à situer les dysfonctionnements sensoriels, cognitifs et même comportementaux dans la dimension physiologique de l’être humain en tant qu’animal, soutenant que les dimensions corporelles et matérielles du cerveau peuvent réellement affecter l’activité psychique. Grâce à la compréhension de la relation entre l’âme et le corps comme hylémorphique, le fait que les fonctions supérieures, dites spirituelles, soient « enracinées » dans une dimension matérielle et corporelle ne rend pas superflue la forme non matérielle de l’être humain. En effet, cette dernière vise à rendre humaines, c’est-à-dire unifiées par un même moi conscient, les diverses opérations du sujet, comme si elles provenaient d’un seul principe vital. L’identité et l’intentionnalité ne sont pas remplacées par la dimension neuronale du cerveau. Celle-ci appartient à un sujet personnel, l’être humain, qui transcende cette dimension physiologique[12].

 

c) L’intelligibilité de la réalité naturelle et le dialogue entre les différentes sources de connaissance

 

Un troisième groupe de réflexions concerne, enfin, la contribution du thomisme à une meilleure compréhension de la réalité matérielle, c’est-à-dire de l’objet même de la science.

Si l’on attribue à la philosophie aristotélico-thomiste le développement formel et rigoureux de l’usage de l’analogie, il n’est pas exagéré de dire que la première contribution de saint Thomas aux sciences est d’avoir rendu possible l’usage des modèles, en tant que stratégie scientifique établie pour étudier les phénomènes naturels et prédire leur comportement futur. En effet, c’est sur l’analogie que reposent l’emploi et l’application des modèles, que ce soit en physique, en chimie, en biologie ou dans bien d’autres domaines ; et c’est sur l’abstraction, qui reste un élément clé de la philosophie thomiste de la connaissance, que repose la capacité de mathématiser les modèles, les transformant ainsi en puissants outils de connaissance[13].

Une deuxième contribution d’importance similaire, à laquelle on n’a peut-être pas accordé le poids nécessaire, est la vision unifiée de la vérité de l’Aquinate, une vision capable de relier les différentes sources de connaissance les unes aux autres. La réalité est l’effet d’un Dieu unique et non une collection de fragments que la science arrange ; le monde est un projet unifié qui a émergé de l’esprit du Logos créateur, un cosmos ordonné que Dieu conduit vers son accomplissement. L’unicité de la vérité, sur laquelle Thomas met un accent tout particulier, unifie la connaissance de la réalité et fait en sorte que les approches des différentes disciplines contribuent positivement les unes aux autres, y compris celles de la philosophie et de la théologie[14]. Tout accès à la vérité, de quelque côté ou de quelque auteur qu’elle vienne, est le fruit de l’Esprit saint[15].

La pensée thomiste est donc capable d’inspirer une unité cohérente de connaissance, où les différentes disciplines sont organisées en niveaux hiérarchiques d’intelligibilité, en fonction de leurs différents objets formels. Les frontières propres à chaque discipline ne sont plus lues comme des limites qui divisent et fragmentent, mais comme des connexions qui unissent. Si les sciences naturelles ont besoin d’une philosophie de la nature, ce n’est pas parce qu’elles trouvent une limite ou un obstacle au-delà duquel elles ne peuvent plus avancer : c’est parce qu’elles trouvent un fondement, à savoir l’existence même de ces hypothèses philosophiques qui rendent l’analyse scientifique possible. Dans un tel cadre épistémique, les problèmes d’incomplétude émergeant de la logique des systèmes axiomatiques, ou ceux émergeant en cosmologie physique de l’impossibilité de conceptualiser l’univers comme un tout, pour ne donner que deux exemples, ne sont pas des paradoxes pour lesquels il faut chercher une solution, mais plutôt la perception des fondements logiques et ontologiques de la connaissance scientifique.

Pour une meilleure compréhension de la réalité physique et biologique, la notion aristotélico-thomiste de « nature », entendue ici comme le principe opératoire de l’entité, s’avère également particulièrement fructueuse. Cette notion favorise la compréhension des propriétés stables de l’entité matérielle, de l’universalité de ses spécificités formelles, de son comportement suivant des lois et de l’universalité des lois de la nature. La notion métaphysique de nature permet également de distinguer correctement les lois naturelles des lois scientifiques, en précisant que nous ne pouvons traiter que les secondes, et non les premières. Les phénomènes qui présentent les caractères d’indétermination, d’imprédictibilité et de complexité ne violent pas la spécificité formelle des natures, mais indiquent seulement qu’ils ne peuvent pas être formalisés ou quantifiés de manière exhaustive et finie, au moyen de lois scientifiques[16].

La pensée de l’Aquinate confère une intelligibilité propre à la notion de forme, aujourd’hui réévaluée dans divers domaines de la recherche scientifique, notamment dans les approches qui mettent en évidence le rôle de l’information dans les sciences mathématiques, physiques, chimiques et biologiques. L’information, tout comme la forme, représente quelque chose d’immatériel capable de se transmettre, d’informer des supports matériels, de se conserver et de se reproduire au-delà de la matière qu’elle informe. En ignorant la notion de forme, on ne comprendrait plus la phénoménologie du vivant, son comportement et la logique relationnelle de son organisme. L’information, comme la forme, est d’abord intelligible et reconnaissable dans un contexte intentionnel, et reste ouverte pour se rapporter à une intelligence personnelle. La forme, l’information et le logos sont des concepts qui s’appellent mutuellement. Les sciences contemporaines entrevoient cette connexion et son lien mystérieux avec une source de sens.

La réévaluation en biologie des notions de forme et d’information, ainsi que celle des approches relationnelles et systémiques, semblent appuyer à nouveau le souhait de comprendre la vie à partir du vivant, comme le faisaient déjà Aristote et Thomas. En étudiant sa forme propre, nous dépassons les tentatives de comprendre la vie comme une composition d’éléments extrinsèques les uns aux autres, typiques du réductionnisme biologique et du mécanisme biomoléculaire. La vie n’est pas seulement une propriété émergente de la matière, mais véritablement une nouvelle stratégie d’immanence[17].

 

III. Un regard vers l’avenir : défis et opportunités de la pensée scientifique contemporaine

Jusqu’ici, nous avons analysé le présent. Quels sont les défis qu’une pensée inspirée par Thomas d’Aquin rencontrera à l’avenir, en s’engageant dans un dialogue avec les sciences ? Je crois personnellement que le défi le plus important ne vient pas de l’un ou l’autre domaine de recherche hautement spécialisé. Le véritable défi est la formation de nouveaux jeunes chercheurs, experts de la pensée de saint Thomas. Je pense que c’est là le véritable défi. Il est nécessaire de poursuivre le travail que Thomas n’a pas effectué, simplement parce que son époque n’était pas la nôtre ; il est nécessaire de travailler comme il l’aurait fait s’il avait vécu à notre époque. Toutefois, si l’on se tourne vers l’avenir, un certain nombre de domaines de recherche stratégiques requièrent davantage d’attention. Permettez-moi d’en citer quelques-uns.

Aujourd’hui, le sujet de la causalité est devenu plus complexe. Jusqu’au début du siècle dernier, la philosophie et la théologie dialoguaient avec une vision plutôt mécaniste de la causalité, héritée pour l’essentiel de la mécanique newtonienne. Pour mettre de l’ordre au niveau épistémologique ou ontologique, il suffisait à la philosophie et à la théologie d’insister dans leurs discussions sur la relation entre la Cause première et les causes secondes, en soulignant la transcendance de la Cause première. De nos jours, la description causale des phénomènes physiques et biologiques rencontre des problèmes inédits et s’enrichit de nouvelles catégories. Aujourd’hui, nous traitons de l’émergence et de la complexité, tandis que les théories systémiques et les approches holistiques explorent des formes de causalité du tout vers les parties. En mécanique quantique, le sens commun de la relation causale est souvent remis en question, comme dans le cas de la non-localité quantique. Il est nécessaire de disposer d’une médiation philosophique d’expert, familiarisée avec les questions scientifiques contemporaines et avec les prémisses philosophiques qui les sous-tendent. Cette médiation devrait traduire les concepts thomistes classiques en concepts plus communs pour le monde scientifique d’aujourd’hui. Cela sera particulièrement important pour comprendre et expliquer la relation entre la forme et l’information, afin de faire progresser et d’examiner la sensibilité des sciences contemporaines à la causalité formelle.

Une application plus étendue de la philosophie thomiste aux sciences de la vie est également nécessaire aujourd’hui. Les études portant sur la pensée de l’Aquinate dans le domaine des sciences biologiques sont beaucoup moins nombreuses que les études portant sur les sciences physiques. Cela est probablement dû à la fois au rôle plus important que la physique a joué historiquement et à l’absence de commentaires de l’Aquinate sur les œuvres biologiques et zoologiques d’Aristote. Il est temps que la philosophie de la biologie dépasse le débat entre création et évolution et vise une meilleure compréhension de la vie comme forme du vivant, perspective sur laquelle la pensée aristotélico-thomiste aurait encore beaucoup à nous dire aujourd’hui[18].

Un autre domaine de travail futur pour un thomisme en dialogue avec les sciences est l’étude de l’action de Dieu dans la nature[19]. Dans ce domaine de recherche, la réflexion issue de la pensée thomiste, bien que contenant de grandes potentialités, est malheureusement minoritaire, tout comme la présence de chercheurs catholiques. Deux domaines classiques sont liés à la question de l’action divine dans la nature : la théologie du miracle (très peu développée aujourd’hui) et la théologie de la providence divine, toutes deux liées au grave problème du mal physique. Toutes ces questions ont été abordées par l’Aquinate avec courage et innovation ; elles doivent également être abordées aujourd’hui, à la lumière de la science contemporaine, en tenant compte de la connaissance élargie que nous avons aujourd’hui de la nature, de ses dynamismes et de son histoire globale. 

La question de l’écologie soulève également des défis importants. Habituellement développée dans une perspective franciscaine-bonaventurienne, il est logique de se demander s’il existe une perspective thomiste spécifique sur l’écologie, sur le soin et la sauvegarde de notre maison commune. Des tentatives ont été récemment développées aux États-Unis sous le nom de « thomisme vert »[20]. Alors qu’un cadre franciscain privilégie la ligne de l’exemplarité, un point de vue thomiste devrait mettre l’accent sur la relation, l’ordre hiérarchique entre les créatures et le finalisme[21]. Comme nous l’avons vu, la pensée scientifique contemporaine soutient volontiers la structure relationnelle de la nature, en physique, en mécanique quantique et en biologie. Un dialogue intéressant entre le thomisme et la pensée scientifique est également possible ici, selon une perspective interdisciplinaire qui doit également inclure la théologie. C’est la théologie, en effet, qui révèle que la racine qui soutient la logique relationnelle présente dans l’ensemble de la création, puis dans tous les systèmes écologiques, est en fin de compte trinitaire. Bonaventure et Thomas seraient certainement d’accord sur cette approche.

Enfin, la pensée thomiste sera toujours utile pour montrer la fausseté des arguments rationnels qui visent à contredire certaines vérités de foi transmises par la Révélation. Cela arrive aussi aujourd’hui, lorsque des affirmations qui n’appartiennent pas à la science sont présentées comme s’il s’agissait de conclusions scientifiques[22]. Les occasions ne manquent pas et ne manqueront pas. Même à l’avenir, saint Thomas nous aidera à mettre de l’ordre, à clarifier les choses, à comprendre ce que la science dit et ce qu’elle ne pourra jamais dire.


En conclusion, je crois qu’il y a de bonnes raisons de penser que les raisons qui font que Thomas d’Aquin a réussi a établir des relations entre la philosophie, la théologie et les sciences de son temps, conservent leur valeur, malgré les progrès rapides de la connaissance scientifique. Le thomisme, après tout et avant tout, est une méthode. Une méthode qui peut continuer à inspirer le travail interdisciplinaire que la philosophie et la théologie du XXIe siècle sont appelées à réaliser.

 


  1. Il n’est pas surprenant qu’une recherche sur le Web effectuée en plusieurs langues avec les mots-clés « Thomas d’Aquin » et « sciences naturelles », offre en tête de liste des articles et commentaires épistémologiques sur l’unité des sciences et sur la théologie en tant que science.

  2. Peut-être emphatique dans sa forme, mais vrai dans sa substance, est le jugement énoncé il y a des années par Galli, également partagé par Wallace : « Nous devons reconnaître que saint Thomas, en insérant Aristote dans la culture occidentale, n’a pas contribué immédiatement et directement à l’accroissement de la connaissance scientifique. Pourtant, il a fait bien plus. Il a contribué, plus que tout autre penseur de son siècle, à raviver chez l’homme occidental l’amour de l’étude des sciences naturelles. Pour cela, et pour cela seulement, nous pouvons considérer qu’il mérite, dans l’histoire de la pensée scientifique, une place des plus honorables, probablement égale à celle occupée par Galilée et Newton ». G. Galli, Cosmologia aristotelica e cosmologie moderne, dans « Tommaso d’Aquino nel suo VII centenario », p. 221 ; cf. aussi W. Wallace, Thomas Aquinas, dans C.G. Gillispie (ed.), Dictionary of Scientific Biographies.

  3. Thomas insiste sur le fait que la science n’est possible que si nous accédons à la réalité des choses telles qu’elles existent en dehors de notre âme, sans nous contenter de raisonner sur les species qui s’y trouvent : cf. Summa theologiae, Ia, q. 85, a. 2 ; De veritate, q. 2, a. 3, ad 19.

  4. Cf. Summa theologiae, Ia, q. 105, a. 5 ; Contra gentiles, Lib. III, c. 69. « L’Aquinate pensait également que presque tous les changements substantiels pouvaient être expliqués par des causes naturelles et qu’il n’était pas nécessaire de faire appel, comme le faisait Avicenne, à un “donneur de formes” surnaturel pour expliquer l’apparition de nouvelles substances », W.E. Carroll, Aquinas, Thomas, in T.F. Glick, S. Livesey, F. Wallis (edd.), Medieval Science, Technology and Medicine. An Encyclopedia, Routledge, Oxfoed-New York, 2005, p. 35-39 [p. 36].

  5. Cf. In II Physicorum, lect. 1, nn. 145-146 ; lect. 14, n. 267.

  6. Cf. Contra gentiles, Lib. I, c. 78; Lib. II, c. 24.

  7. Sur ce thème, voir J.-M. Maldamé, « San Tommaso e i fondamenti della scienza », Annales theologici 15 (2001), p. 283-306.

  8. Cf. De principiis naturae, c. 6, nn. 366-367. Pour une application aux sciences contemporaines, voir F. Bertelè, A. Salucci, A. Olmi, A. Strumia, Scienza, analogia, astrazione. Tommaso d’Aquino e le scienze della complessità, Il Poligrafo, Padova, 1999.

  9. Cf. Summa theologiae, Ia, q. 45, a. 3; q. 46, a. 3.

  10. Cf. L. Congiunti, « Ordine naturale e caso secondo Tommaso d’Aquino », Espíritu 66 (2017), p. 303-323.

  11. Cf. In II Physicorum, lect. 13, n. 257; lect. 14, n. 268.

  12. Parmi les lieux principaux chez Thomas, voir par exemple : Summa theologiae, Ia, q. 77, a. 4; q. 85, a. 7; q. 91, a. 3, ad 1; q. 84, a. 7; q. 101, a. 2; Ia-IIae, q. 63, a. 1; IIa-IIae, q. 155, a. 4, ad 2; q. 156, a. 1; De anima, q. un, a. 8; De spiritualibus creaturis, q. un., a. 2, ad 7.

  13. Pour une introduction au sujet qui fait appel à tous les acteurs majeurs de la méthode scientifique, voir par exemple les contributions rassemblées dans le volume : F. Bertelè, A. Salucci, A. Olmi, A. Strumia, Scienza, analogia, astrazione. Tommaso d’Aquino e le scienze della complessità, Il Poligrafo, Padova, 1999.

  14. « Sans aucun doute, Thomas avait au plus haut degré le courage de la vérité, la liberté d’esprit permettant d’affronter les nouveaux problèmes, l’honnêteté intellectuelle de celui qui n’admet pas la contamination du christianisme par la philosophie profane, sans pour autant refuser celle-ci a priori. C’est la raison pour laquelle il figure dans l’histoire de la pensée chrétienne comme un pionnier sur la voie nouvelle de la philosophie et de la culture universelle. Le point central, le noyau, pour ainsi dire, de la solution qu’avec son intuition prophétique et géniale il donna au problème de la confrontation nouvelle entre la raison et la foi, c’est qu’il faut concilier le caractère séculier du monde et le caractère radical de l’Évangile, échappant ainsi à cette tendance contre nature qui nie le monde et ses valeurs, sans pour autant manquer aux suprêmes et inflexibles exigences de l’ordre surnaturel ». Paul VI, Lumen Ecclesiae (1974), cite par Jean-Paul II, Fides et ratio (1998), n. 43.

  15. Cf. Summa theologiae, Ia, q. 109, a. 1, ad 1. Sur l’unité de la vérité chez Thomas d’Aquin, voir Jean-Paul II, Fides et ratio (1998) : « Intimement convaincu que “omne verum a quocumque dicatur a Spiritu Sancto est” (“toute vérité dite par qui que ce soit vient de l »Esprit Saint”), saint Thomas aima la vérité de manière désintéressée. Il la chercha partout où elle pouvait se manifester, en mettant le plus possible en évidence son universalité. En lui, le Magistère de l’Église a reconnu et apprécié la passion pour la vérité ; sa pensée, précisément parce qu’elle s’est toujours maintenue dans la perspective de la vérité universelle, objective et transcendante, a atteint “des sommets auxquels l’intelligence humaine n’aurait jamais pu penser”. C’est donc avec raison qu’il peut être défini comme “apôtre de la vérité”. Précisément parce qu’il cherchait la vérité sans réserve, il sut, dans son réalisme, en reconnaître l’objectivité. Sa philosophie est vraiment celle de l’être et non du simple apparaître. » (n. 44)

  16. Cf. G. Tanzella-Nitti, “The Aristotelian-Thomistic Concept of Nature and the Contemporary Scientific Debate on the Meaning of Natural Laws”, in Acta Philosophica 6 (1997), p. 237-264.

  17. Cf. J.E. Carreño, « From self movement to esse. The notion of life and living being in Thomas Aquinas », Angelicum 92 (2015) p. 347-376.

  18. Une étude plus approfondie de l’utilisation de l’aristotélisme par Albert le Grand sur ces questions devrait également être incluse dans ce développement.

  19. Le sujet a fait l’objet d’un projet parrainé par le Center for Theology and The Natural Sciences (Berkeley) et l’Observatoire du Vatican à travers une série de conférences tenues de 1993 à 2001 et rassemblées dans 6 volumes imposants. Les résultats sont présentés dans R.J. Russell, N. Murphy, W.R. Stoeger (edd.), Scientific Perspectives on Divine Action. Twenty Years of Challenge and Progress, Vatican Observatory Publications - The Center for Theology and the Natural Sciences, Città del Vaticano, 2008.

  20. Cf. C. Thompson, « Perennial Wisdom. Notes toward a Green Thomism », Nova et Vetera, English edition 10 (2012), p. 67-80 ; Idem, The Joyful Mistery. Field Notes toward a Green Thomism, Emmaus Road, Stebenville (OH), 2017.

  21. Cf. J. Sanguineti, La filosofia del cosmo in Tommaso d’Aquino, Ares, Milano, 1996.

  22. Cf. Contra gentiles, Lib. I, c. 9.